Le numérique est-il un moyen de réduire la consommation d’énergie dans un grand nombre de secteurs, et à ce titre allié de la lutte contre les dérèglements environnementaux ?

Après plus d’un an d’étude, le think tank Shift Project a sorti à la rentrée un rapport éclairant, et pas foncièrement optimiste, sur les impacts environementaux du numérique.

Une étude au long cours

Shift Project, think tank présidé par Jean-Marc Jancovici, étudie depuis 2017 les impacts environementaux du numérique. L’objectif : déterminer les effets, positifs ou négatifs, de la “digitalisation” de nos sociétés sur l’environnement, et produire des préconisations à destination des politiques.

Les conclusions de l’étude sont parues en octobre 2018, et permettent de vérifier le bien fondé de certains présupposés sur le numérique.

Parmi ces présupposés, il y a la promesse d’une meilleure efficience énergétique à travers tout un ensemble de dispositifs : réseaux électriques intelligents (smart grids), mobilité et transports intelligents, monitoring environnemental et urbain, dématérialisation, télétravail et visioconférence, bâtiments intelligents et écoconception logicielle…

Alors, promesse tenue ? Promesse tenable ?

Numérisation de la société : une empreinte environnementale forte

Quelques points de constat à retenir :

  • L’empreinte matérielle du numérique est très largement sous-estimée par ses utilisateurs, compte tenu de la miniaturisation des équipements et de «l’invisibilité» des infrastructures utilisée (Cloud)
  • La consommation d’énergie du numérique augmente en moyenne de 9 % chaque année.
  • la transition numérique résulte en une augmentation forte de l’empreinte énergétique directe du numérique : consommer un euro de numérique en 2018 induit une consommation d’énergie directe supérieure de 37% à ce qu’elle était en 2010.
  • L’accélération de la croissance du numérique n’a pas aujourd’hui l’effet espéré ni sur la croissance mondiale, ni sur la productivité : le taux de croissance de la zone OCDE reste stable autour de 2% alors que la croissance des dépenses numériques est passée de 3% à plus de 5% par an.
  • dans l’absolu, le numérique peut effectivement servir à repenser les usages et modifier les modes de fonctionnement et de production pour aboutir à une réduction des émissions de gaz à effet de serre, voire à une réduction de la consommation énergétique. Mais ceci ne se produira qu’à la condition de maîtriser les « effets rebond», lesquels se sont montrés jusqu’ici plus importants que les gains apportés par l’innovation technologique.
  • La phase de production des équipements représente près de 50% de l’empreinte énergétique totale du numérique. Une bonne partie des enjeux environnementaux du numérique n’est donc pas liée à l’usage que l’on en fait, mais au volume de matériel produit et à son processus de production. La multiplication des périphériques numériques (11% de croissance annuelle du parc de smartphone, plus de 60% de croissance annuelle de la production de modules de communication embarqués…) et leur renouvellement fréquent pèse énormément.
  • Dans les usages, l’explosion de l’utilisation de la vidéo (visio-conférence, streaming…) est aussi un facteur d’inflation de l’empreinte énergétique directe du numérique.
  • la surconsommation n’est pas généralisée, elle est le fait des pays développés.
  • La tendance actuelle de surconsommation numérique dans le monde n’est pas soutenable au regard de l’approvisionnement en énergie et en matériaux qu’elle requiert. : la raréfaction et la difficulté d’extraction croissante des métaux nécessaire à la production d’électronique risque de mettre un frein à une demande croissante, les progrès technologiques risquent de ne pas être suffisant pour contrebalancer la croissance des volumes de données à stocker à l’horizon 2020…

Des scénario de sobriété

Le Shift Project a planché sur différents scénarii d’évolution de la consommation énergétique du numérique entre 2010 et 2015, rapportée à la consommation énergétique mondiale totale. Le seul qui permette d’éviter l’explosion de la consommation est celui dit de la sobriété.

A noter : le scénario de sobriété, celui que promet le rapport, stabilise cette consommation, mais ne la réduit pas. Il reste donc à mon sens très optimiste.

En quoi consiste une transition numérique sobre, selon ce scénario ?

  • acheter les équipements les moins puissants possibles,
  • les changer le moins souvent possible,
  • réduire les usages énergivores superflus.

Quels enseignements pour une agence web ?

Au regard du rapport de Shift Project, comment une agence web pourrait-elle modifier ses pratiques professionnelles pour avoir un impact environemental le plus réduit possible ?

Voici ce que j’envisage avec l’assembleuse :

  • faire en sorte que les réalisations soient utilisables sur les plus anciens terminaux et non uniquement sur les machines les plus récentes et les plus puissantes. Ceci afin d’inciter les propriétaires de ces terminaux à ne pas en changer,
  • inciter à limiter au maximum l’usage de la vidéo,
  • intégrer systématiquement des pratiques d’ux pour ne pas produire inutilement,
  • faire sienne les pratiques d’éco-conception, pour minimiser le trafic et le volume d’opérations et de données à stocker
  • auditer la performance énergétique de ses réalisations (des sites comme ecometer.org ou ecoindex.fr donne des indications),
  • et surtout, communiquer et sensibiliser ses clients sur les impacts environnementaux de nos objets et de nos actes numériques.

Sources :